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Test – Escape the Dark Castle

Docteur Ian Livingstone, je présume ?

« Noël 1983. J’ai alors 9 ans. Comme chaque samedi, je farfouille dans la courte allée du marchand de journaux situé non loin de chez moi à Chelles. Et rapidement mon regard est attiré par un livre étonnant, sur un présentoir du rayon jeunesse, entre le Club des cinq et Dinomir le Géant. Ce livre, publié chez Folio Junior, se présente comme une aventure dont moi je serais le héros pour aller défier un Sorcier au plus profond d’une montagne. Je ne comprends pas grand-chose à ce qui m’attend, mais d’emblée je suis fasciné par les illustrations en noir et blanc, qui me captivent au premier regard. Je suis confronté, sans le savoir, à un tout nouveau monde. Je ne sais pas encore ce qu’est un gobelin, encore moins un farfadet ou un Troll, et je ne sais pas non plus que je vais passer une large partie de ma vie à en décimer un bon paquet. Tout ce que je sais c’est qu’il me faut ce livre et que ma vie vient de changer.

Aujourd’hui, plusieurs décennies plus tard, je suis heureux que ce livre ne m’ait jamais quitté. L’univers de l’aventure, évidemment, a bien changé. Les choses sont évidemment devenues plus colorées et plus ambitieuses, et j’ai moi aussi vogué vers des horizons ludiques plus denses et plus aboutis. Mais j’ai toujours conservé quelques ouvrages de Steve Jackson & Ian Livingstone, Joe Dever & Gary Chalk, JH Brennan et tant d’autres, pour le simple plaisir de les feuilleter et de me souvenir de ces premiers émois fantasy.

Aussi, quelle ne fut pas ma surprise quand je découvris, il y a quelques années, un kickstarter porté par un éditeur anglais dont je n’avais jamais entendu parler : Themeborne. Et une fois encore j’étais saisi par des illustrations absolument incroyables qui me renvoyaient immédiatement en 1983. Du noir et blanc et des monstres pour une atmosphère 80’s que je ne m’attendais absolument pas à retrouver.

Je pledgeai. Je jouai. J’adorai. Et je rêvai alors un jour de pouvoir faire découvrir ce jeu en français, pour qu’il plonge lui aussi de nouveaux anciens joueurs dans ce revival d’univers disparu. Et ce jour, heureusement, finit par arriver, par l’entremise d’Exod Games. »

Escape the Dark Castle est un jeu de Thomas Pike, Alex Crispin et James Shelton, illustré par Alex Crispin. Jouable de 1 à 4 joueurs, il est édité en France par Exod Games.

Simple ou simpliste ou les deux ?

Escape the Dark Castle est un jeu qui ne ressemble à aucun autre jeu que je connaisse. Sa mécanique, si on la sort du contexte, est d’une simplicité si violente qu’elle pourrait presque passer pour de la provocation ludique. Je pourrais presque la résumer en une formule :

on retourne une carte, on jette un dé, on recommence.

Et ce serait à peine exagéré, vraiment.

Si vous avez, comme moi, déjà franchi les multiples portes de One Deck Dungeon ou même, plus simple, les niveaux successifs de Dungeon Roll, vous aurez sans le savoir affronté des mécaniques de jeu incroyablement plus complexes que celles d’Escape the Dark Castle. Et je n’exagère pas. Car en tout état de cause, oui, vous allez retourner des cartes, lancer un dé, et recommencer. En tout cas… si vous survivez !

Une prodigieuse direction artistique

Escape the Dark Castle est donc un jeu d’ambiance et d’aventure au travers d’un deck de cartes. Attention amis Sleeveurs, les cartes sont GRANDES et il vous faudra vous équiper en conséquence pour les protéger comme il se doit.

Ces cartes, vous les trouverez horribles ou magnifiques, en fonction de votre sensibilité. Il n’y aura PAS de juste milieu avec ce jeu, aussi bien sur le fond que sur la forme. Soit les artworks vous plongent immédiatement dans le donjon, soit ils vous empêchent d’y entrer. Comme vous l’aurez compris, l’ambiance s’inspire très directement des livres dont vous êtes le héros des années 80, ce qui ne manquera pas de faire vaciller la fibre gameuse des plus de 40 ans… s’ils acceptent ce plaisir coupable ultra régressif. À titre personnel je trouve la direction artistique totalement adaptée à son univers, notamment grâce au ton noir et blanc ultra agressif pour un rendu remarquable.

Côté contenu, le jeu se compose donc de 45 grandes cartes qui représentent les rencontres, salles et aléas du donjon que vous allez traverser, de 35 petites cartes représentant les objets collectés, et d’une série de dés représentant les personnages que vous allez incarner, ainsi que les actions que vous allez pouvoir mener.

Escape the Dark Castle vous propose également un petit calepin et 4 crayons de papier pour noter vos points de vie déclinants au cours de votre exploration. Autant vous prévenir : prenez une grande feuille ou écrivez petit : ça va chuter fort bas.

« Welcome to the Dungeon of Drax, choose your warrior »

Le but du jeu est donc de s’échapper d’un donjon, en démarrant l’aventure les mains dans les poches. L’aventure débute en effet dans un cachot dont la porte a été laissée ouverte. Pour jouer, les joueurs doivent au préalable constituer leur donjon aléatoirement. Celui-ci sera créé en piochant (sans les regarder !) 15 cartes sur les 45 cartes d’aventure, et en les mélangeant. On pioche ensuite l’une des 5 cartes de boss que l’on met à la fin du deck, et la carte d’intro que l’on met sur le dessus du deck. Et hop, voici un donjon créé en quelques secondes.

Les joueurs choisissent ensuite leur personnage, défini par trois caractéristiques : la force, la ruse et la sagesse. Ils prennent ensuite le dé correspondant à leur personnage. Oui oui, chaque personnage a son propre dé, ce qui est toujours plus simple à gérer qu’une feuille de personnage. Évidemment, chaque dé reprend les caractéristiques du personnage en attribuant plus ou moins de faces à la force, la ruse et à la sagesse.

Notez tout de même que chaque personnage est représenté par une carte, qui lui permettra de placer à proximité les objets ramassés. Ne comptez pas toutefois transformer votre héros en Grosbill : il ne pourra porter que deux objets, voire un seul si celui-ci devait lui encombrer les deux mains.

L’aventure peut commencer une fois cette mini préparation achevée. Chrono en main, elle vous aura pris deux minutes au maximum.

Narration obligatoire

Une fois le jeu mis en place achevée, la carte d’introduction est retournée. C’est le début des ennuis pour vos personnages, qui vont sans doute morfler. Chaque carte est composée d’un texte d’ambiance et de leur traduction en effet de jeu. Notez immédiatement que le texte d’ambiance doit toujours être lu, et si possible à voix haute. C’est un point vraiment important du jeu, j’insiste. La mécanique étant très light, si vous zappez la partie ambiance, vous allez vous retrouver à enchainer des lancers de dés sans grande envergure, ce qui ne manquera pas de saouler les aventuriers. Il vous faut donc installer l’ambiance qui permettra à la partie d’atteindre son plein potentiel, peut-être avec un éclairage adapté, pour ne pas sortir de l’histoire.

« Ce-se-ra-toi-qui-va-en-trer-en-pre-mier »

Une fois la carte d’introduction résolue, retournez la première carte du Donjon. Mais avant cela, décidez ensemble QUI va retourner la carte. En effet, le jeu fait une différence entre l’audacieux qui retourne la carte et le reste du groupe, c’est-à-dire celui qui marche hardiment sur la dalle piégée et les autres qui sont planqués à bonne distance. Il faudra donc négocier entre vous à chaque nouvelle carte pour savoir quel est celui qui se risque à ouvrir la marche, pour le meilleur et pour le pire. Chaque joueur démarrant avec le même nombre de Points de Vie, il sera utile d’alterner de temps en temps pour éviter qu’un personnage ne décède prématurément. Solidarité oblige : si un personnage est tué, la partie est perdue pour tout le monde.

Parce que bon, on ne va pas se mentir : comme tout bon donjon qui se respecte, les locataires des lieux ne vont pas tous vous accueillir avec le sourire. S’il y aura l’occasion de faire quelques heureuses rencontres, attendez-vous plutôt à des monstres énervés qu’à des lutins festifs. Et bien que le jeu soit assez varié en termes de rencontres, pièges et autres surprises, il y a des fois (souvent, même !) où il faudra se résoudre à aller à la baston.

« MOI TAPER TOI »

Vous l’aurez donc compris : il est temps de parler des combats. Chaque adversaire doit en effet être vaincu pour pouvoir passer à la carte suivante ; certains vous laisseront fuir en échange de quelques points de vie, mais sans la possibilité de récupérer une carte objet, évidemment.

Chaque monstre indique, en bas de sa carte, les icônes à obtenir avec les dés pour qu’il soit vaincu. Avant le combat vous lancerez également un dé de rencontre par joueur, que vous ajouterez aux icônes déjà présentes sur la carte. Ces dés tous ensemble correspondent à la vie du monstre.

À chaque round de combat, les joueurs doivent attaquer, mais l’un d’entre eux peut décider de se mettre à l’écart pour le round afin de regagner un point de vie. Tous les autres doivent mener l’assaut en lançant leur dé de personnage. S’ils obtiennent des symboles nécessaires, ils ôtent les dés correspondants de la carte de la créature. Évidemment, si cette dernière n’est pas vaincue au cours du round, elle réplique et inflige à tous ses assaillants des dommages correspondant à un chiffre indiqué sur la carte. Les seuls qui parviendront à esquiver l’attaque ennemie sont les joueurs qui auront obtenu un bouclier sur leur dé (et celui qui s’était mis en sûreté dans son coin, évidemment).

Une fois l’ennemi vaincu, le groupe pourra piocher une (seule !) carte d’objet, et décider à quel joueur l’attribuer. Il faudra savoir négocier.

Et ?

Et c’est tout ! Le jeu tient dans ces quelques règles : retourner une carte, la lire, lancer un dé. Enfin presque. Parce que la dernière carte, le boss de fin souvent, va demander un peu plus de lancers de dés. Mais dans le principe, vous aurez compris ! Le but du jeu consiste à gérer le groupe pour franchir les 15 cartes du donjon, et garder assez de points de vie pour affronter la dernière carte, celle du boss.

Et c’est bien, du coup ?

Oh oui ! Enfin, ça dépend. Comme tout jeu d’ambiance, si vous ne parvenez pas à être happé par l’esprit de l’âge d’or du livre d’aventure, vous allez passer à côté du jeu. Escape the Dark Castle n’est clairement pas un jeu pour tout le monde. Il est très rapide à sortir et à jouer, mais il est totalement aléatoire et peut se montrer incroyablement capricieux. Il génère une histoire qu’il faut structurer soi-même comme pour un jeu à points, et mécaniquement, on dira ce qu’on voudra, lancer un dé ce n’est pas la panacée.

Et pourtant, oui, c’est bien. C’est vraiment bien, même. On lance chaque nouvelle partie comme on aborderait un Die & Retry quelque peu sadique (pléonasme), en se disant que l’on va en baver, mais qu’on va passer un bon moment. La difficulté n’est pas énorme, mais quand il s’agit de lancer les dés, tout peut devenir très compliqué pour pas grand-chose. Alors on sort le jeu, on l’installe et on le lance pour des parties d’une vingtaine de minutes, mise en place comprise, comme une récréation bienvenue dans un univers ludique bien plus ambitieux.

Et les juniors, alors ?

La question est difficile, mais on est justement là pour y répondre. Déjà, soyons clairs, certaines illustrations sont un peu plus tendues que d’autres, et on réservera le jeu aux ados qui ont déjà digéré des choses dans le même univers, comme la trilogie du seigneur des anneaux version ciné, par exemple. Il n’y a rien de bien insurmontable là-dedans, mais le noir et blanc a tendance à laisser des images « qui restent », fussent-elles anodines.

Le jeu est libellé 14+, et au vu de certaines illustrations cela peut se justifier, même si la mécanique de jeu pourra sans souci être maitrisée vers 7 ans. Pour la plupart des juniors, le jeu sera tout à fait jouable vers 11-12 ans.

Mais la vraie question, avec les juniors, va concerner leur adhésion à l’univers et aux illustrations qui évoquent une période qui leur échappe totalement. Si vos juniors se sont déjà essayés au jeu de rôles ou aux livres dont vous êtes le héros, Escape the Dark Castle leur permettra de vivre une expérience de jeu aussi particulière qu’addictive. Pour les autres, la simplicité du jeu peut leur permettre une introduction originale à la Dark Fantasy. Mais certains y resteront résolument hermétiques, de la même manière qu’il est compliqué de jouer à Zork quand on a découvert le jeu vidéo d’aventure avec Skyrim.

La meilleure méthode pour tenter d’approcher le jeu est donc de leur montrer les illustrations sur le site de l’éditeur et quelques vidéos de présentation : vous saurez immédiatement s’ils seront assez hypés pour se lancer à l’aventure !

Quelques remarques, tout de même ?

Une ou deux oui, qui concernent la version française. Puisque l’on parle de jeu d’ambiance, il est dommage que certains petits éléments nous sortent de la narration. Pourquoi parler du « Dark Castle » et pas du « Château Sombre » ? Pourquoi avoir laissé les noms anglais sur les personnages (et leurs dés) ? Chaque personnage, en effet, porte le nom de son métier : Cook, Smith, Tanner, Abbott, etc. Cela aurait pu être francisé, toujours pour une raison de maintien d’ambiance. Rien de grave évidemment, mais c’est toujours dommage de tomber sur la mention HP au lieu de PV au détour d’un paragraphe.

L’avis de Plateau Junior

Que voilà un jeu fascinant ! Taillé pour les précinquantenaires fatigués (c’est-à-dire moi) avec un énorme affect rayon nostalgie, il peut également permettre à toute une frange de nouveaux joueurs d’expérimenter la dark fantasy par le biais d’un jeu d’ambiance aussi sombre que fascinant. Avec sa direction artistique à haute teneur en fibre 80’s et sa mécanique de jeu à la fois simple, simpliste et jubilatoire, il invite à des parties rapides et fluides, dans laquelle la stratégie consistera souvent à déterminer qui doit passer devant pour encaisser la prochaine baffe. Mais que l’on ne s’y trompe pas : Escape the Dark Castle est si riche en ambiance qu’il permet un plaisir immédiat, quasi hypnotique, qui peut servir de tremplin pour les nouveaux joueurs comme le livre dont vous êtes le héros l’avait été en son temps. Un ovni ludique, sans doute, forcément clivant, qui permettra des heures de jeu absolument délectables à tous ceux qui feront l’effort de pénétrer un univers old-school fondé sur la narration et l’aléatoire. Une expérience de jeu hors-norme, assurément !

On aime

  • Un thème vintage assumé et jubilatoire
  • Simple et fun
  • Illustrations magnifiques
  • 30mn la partie, mise en place comprise
  • La mécanique des dés, astucieuse

On aime moins

  • Ne plaira clairement pas à tout le monde
  • Mécanique simpliste
  • Un voyage à 99% aléatoire
  • Certaines illustrations qui peuvent « coincer » avec les plus jeunes

Le trouver

Votre enfant risque fort d’apprécier si…

  • Il apprécie l’ambiance LDVELH des livres de papa, voire de papy
  • Il apprécie les jeux d’ambiance ultra thématisés
  • Il aime les parties courtes

Votre enfant risque de rester sur sa faim si…

  • Il a besoin de jeux aux mécaniques fortes
  • Il est allergique aux dés

Fiche Technique

  • Un jeu de Thomas Pike, Alex Crispin et James Shelton
  • Illustré par Alex Crispin
  • Pour 1 à 4 joueurs
  • A partir de 14 ans (mais en vrai, avant)
  • Edité chez Exod Games

 

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