Test – Zombie Bus
J’ai toujours quelques scrupules à évoquer le cas de Zombie Bus. C’est un jeu que je connais depuis plusieurs années, et dont j’ai toujours apprécié l’incroyable fourberie, mais il y a sans doute une certaine timidité de ma part à l’idée d’en parler dans mes propres colonnes. La raison en est simple : son auteur habite non loin de chez moi, et si nous nous côtoyons fort peu (car je suis un ours asocial) j’ai une grande sympathie pour le bonhomme et pour les jeux qu’il a conçus jusque lors, notamment des titres comme Boss Quest, Draw Bot ou La Princesse aux échelles, pour ne citer qu’eux.
Le hasard a voulu que les Juniors repèrent Zombie Bus sur l’une de mes étagères au cours d’une session de jeux et m’empressent de l’essayer. Je m’exécutai bien volontiers, et ce qui devait être une partie rapide glissa rapidement vers deux, puis trois, puis quatre… Au vu de l’enthousiasme général, il me sembla évident qu’il fallait en parler.
Je vous invite donc à découvrir ce jeu semi-coop’ de Christophe Lauras, en vous précisant au préalable que non seulement l’éditeur m’a fait parvenir une boîte du jeu GRATUITEMENT (le fou !) mais qu’en plus ma sympathie pour l’auteur va inévitablement fausser mon jugement. Bref : je suis une pourriture d’influenceur corrompu, vous voilà prévenus.
Zombie Bus est un jeu de Christophe Lauras, illustré par Mary Pumpkins, pour 2 à 5 joueurs à partir de 8 ans. C’est édité chez Sweet Games. Comptez environ 30 minutes par partie, et encore un quart d’heure après pour l’engueulade entre les joueurs.
Humour et fourbery
Nous voici donc à l’université de San Romero, théâtre du drame que nous allons vivre aujourd’hui. Des cheerleaders en goguette se retrouvent piégées dans leur bus scolaire par une horde de zombies déchainés. On notera d’emblée le réjouissant second degré qui se dégage de Zombie Bus : outre des illustrations décalées, les références Halloweenesques sont nombreuses. L’humour cash et bien senti se retrouve dans les illustrations comme dans les textes et les découvertes lors des premières parties occasionnent de jolis fous rires.
Mais ce qui marque plus que tout, dans Zombie Bus, c’est son côté atrocement retors. Comment vous expliquer cela ? Zombie Bus est un jeu coopératif, c’est marqué dessus. Mais c’est un jeu coopératif dans les limites du raisonnable. C’est-à-dire que si certains joueurs ont l’impression que la situation est en train de tourner au vinaigre, alors ils auront tout intérêt à lâcher l’affaire et à aller se réfugier loin de la bagarre. Le souci, c’est que les joueurs qui auront soudain fait une preuve éclatante de leur lâcheté devront alors croiser les doigts pour que les autres ne survivent pas, afin qu’il n’y ait pas de témoin de leur manque de courage. Dans Zombie Bus, on peut donc gagner en sauvant les cheerleaders, mais on peut aussi gagner en se sauvant soi-même. À chacun de s’arranger ensuite avec sa conscience.
Matériel choupi
Lançons-nous dans un petit tour rapide du matériel, aussi varié que choupi. Zombie Bus est avant tout un jeu de dés, et ces derniers sont tout à fait lisibles et fort colorés. Les zombies, quant à eux, sont matérialisés par des cartes qui indiquent le combo de dés nécessaire afin de les vaincre, mais aussi leur petit pouvoir qui risque souvent de vous gâcher la vie. Chaque type de zombie a en effet son petit truc bien à lui qui ne manquera jamais de vous enquiquiner, on y reviendra. Outre le nombre de points qu’ils rapportent quand ils sont vaincus (car oui, il y a du scoring à la clé), on retiendra surtout la bouille vraiment réjouissante de ces morts-vivants plus rigolos les uns que les autres.
Et puisqu’on parle de bouilles, regardons les nôtres. Dans Zombie Bus, les joueurs incarnent les membres du Creepy Gang, une bande de 4 joyeux lycéens accompagnés d’un chien, Creepy. Chacun chopera la réf, et il sera sans doute possible de se lancer dans un peu de roleplay en se rebaptisant Fred, Sammy et Véra, pour ne citer qu’eux. Chaque personnage dispose lui aussi de son propre pouvoir.
J’en profite d’ailleurs pour préciser d’emblée un point important : si Zombie Bus peut tout à fait se jouer à deux, il atteint vraiment son plein potentiel en groupe, c’est-à-dire à 4 ou 5 joueurs, là où la menace de trahison se fera plus forte que jamais.
Le jeu propose enfin des tuiles d’équipement, des marqueurs de dégâts, des standees des personnages, un bus de Cheerleaders et un camion de la télé locale. J’y reviendrai plus loin, car ce dernier va déclencher des effets que vous n’imaginez pas encore… et qui font tout le sel du jeu.
Tabassage de zombies ? Oui, mais pas que.
Concernant la mise en place, il suffit de préparer un deck de zombies avec une carte de horde (synonyme de Game Over immédiat) mélangée dans les 4 dernières cartes de la pioche. Vous l’aurez compris : plus on arrive vers la fin de la pioche, plus on s’expose à une fin de partie expéditive : vous ne pourrez jamais gagner en massacrant des zombies à la pelle. Il faudra également placer les jetons Cheerleaders dans le bus (en deux piles), sachant que chaque cheerleader indique des valeurs différentes au recto et au verso : d’un côté le nombre de points d’action nécessaires pour qu’elle soit sauvée, de l’autre le nombre de points rapportés en fin de partie. En règle générale, plus une cheerleader coûte de points d’action, plus elle permettra de marquer des points en fin de partie. Mais on est jamais à l’abri d’une surprise.
Au début de son tour de jeu, le joueur pioche une carte zombie et la pose près du bus. Notez que si, à la fin d’un tour de jeu, il reste au moins 4 zombies autour du bus, la partie prendra fin, car il ne sera plus possible de sauver les cheerleaders. Cela devrait donc vous inciter à vous occuper des zombies. Mais pas trop.
Le joueur dispose ensuite de 3 lancers pour réaliser des combinaisons de dés afin de produire des effets. Les deux principaux consistent à éliminer des zombies, et à sauver des cheerleaders. Il est même possible de faire les deux en même temps.
Bim, un coup de pelle !
Pour éliminer un zombie, il faut obtenir avec les dés les résultats indiqués sur sa carte. Par exemple deux faces cerveau, une face main et une face mâchoire. Ce sont les blessures qui permettront d’éliminer le zombie une fois pour toutes. Notez qu’il n’est pas nécessaire d’obtenir toutes les faces sur un même tour de jeu puisqu’il est possible de coller des marqueurs de dégâts correspondants aux faces des dés sur un zombie, et de le finir plus tard. Un autre joueur peut également s’en charger, et c’est lui qui remportera les points offerts par le kill. Certaines blessures, toutefois, doivent être infligées dans un même tour de jeu. On les reconnaît, car leur signalétique est légèrement différente, comme c’est par exemple ici le cas avec 3 blessures à la mâchoire qui devront être assénées en un seul tour.
Si un zombie n’est pas battu en une fois, alors il se peut très bien qu’il décide de s’attaquer à vous et non plus au bus. Vous aurez suffisamment attiré son attention pour qu’il ait envie de vous croquer. Ce sera parfois une bonne stratégie pour éviter le fatidique seuil des 4 zombies autour de bus, mais cela vous posera tout de même un souci : vous souffrirez en effet d’une relance de moins par zombie qui vous attaque directement, et si 3 zombies devaient vous attaquer, vous seriez alors vaincu et deviendrez un zombie à votre tour (ce qui ne manquera pas de saborder la partie des autres joueurs).
Annie are you ok ?
Les dés permettent également d’obtenir des résultats « Action ». Chaque point d’action peut-être utilisé pour sauver des cheerleaders placées sur le bus. Certaines Cheerleaders coutent 2 points, d’autres 3 ou 4. Comme on l’a dit plus haut, les cheerleaders qui demandent le plus de points sont probablement celles qui rapporteront le plus de points à la fin.
Les actions permettent également de venir en aide à un autre joueur en allant attaquer un zombie qui est dans sa zone à lui. Dépensez un point d’action et obtenez les faces nécessaires pour fracasser un zombie dans sa zone, et à vous de récupérer les points du zombie. Si le joueur était sur le point d’être submergé, il en sera peut-être reconnaissant, mais s’il gérait bien sa zone, il aura juste l’impression que vous lui volez des points, et ce sera le début des embrouilles.
Mais les vraies embrouilles, c’est surtout lorsque vous utiliserez vos points d’action pour vous intéresser au Van de la Presse. Et c’est donc le moment idéal pour vous parler de la face sombre de Zombie Bus : la trahison.
Reporters sans frontières, joueurs sans honneur
Plantons le décor. Une apocalypse zombie se déclenche dans un campus universitaire, il est normal que la presse débarque pour filmer des morts en direct. Alors que les joueurs sont en train de fracasser des zombies, ils sont filmés par une équipe de journalistes, dans un Van. Un Van, avec le moteur en train de tourner. Maintenant, posez-vous HONNÊTEMENT la question. Si vous vous trouviez en pareille situation, que feriez-vous ? Est-ce que vous risqueriez votre vie pour sauver une bande de tiktokeuses à jupe courte… ou est-ce que vous ne vous précipiteriez pas vers le Van en hurlant : « Vite, barrons-nous ! ».
Eh bien c’est là toute la beauté du jeu : Zombie Bus vous offre le choix. Car il vous sera (presque) à tout moment possible de sacrifier des actions pour vous ruer vers le Van et mettre ainsi fin à votre partie. Oui oui, carrément, en mode « bon bah ça commence à sentir un peu la croquette, j’vous laisse ». Vous pourrez ainsi tirer votre épingle du jeu si les autres joueurs se font bouffer par une horde. En revanche, s’ils parviennent à sauver les cheerleaders, vous aurez alors la lourde tâche de devenir le sale traître de service, et vous serez bon pour aller vous cacher dans un trou pendant un bon moment.
Dans Zombie Bus, les joueurs ont donc le choix – un peu cruel – de combattre aux côtés des autres ou de prendre la fuite si les choses devaient mal tourner. Comme dirait Jean-Claude Duss : « Dans 10 minutes, je nous considère comme définitivement perdus ». À vous de voir si vous sentez que les choses tournent suffisamment mal pour franchir le pas… d’autant que d’autres joueurs pourront vous rejoindre (mais cela leur coutera encore plus d’actions). Et c’est là l’incroyable fun de Zombie Bus : cette sensation stressante que chaque joueur peut à tout moment décider de planter le groupe… et donc de le fragiliser, mais sans l’assurance que cela n’arrive. Attendez-vous à surveiller vos adversaires dans le blanc des yeux !
Du Loot !!
Pour ajouter encore davantage d’incertitude, on notera que les héros ont la possibilité de récupérer de l’équipement sur les zombies qu’ils tuent, mais uniquement sur ceux qui s’attaquent directement à eux. Je m’explique : si vous éliminez un zombie qui rôde autour du bus, la zone est trop dangereuse pour fouiller des cadavres. En revanche vous aurez un peu plus de temps s’il s’agit d’un zombie qui vous engage au corps à corps. L’équipement est varié, à usage unique, et permet parfois de faire basculer une partie désespérée en sa faveur, si les dés sont avec vous.
Des zombies variés pour des sensations au top
Autre point à signaler : les zombies. De base, il y en a de nombreux différents, aux caractéristiques variées. Mais il existe également plusieurs « superzombies » que vous ajouterez (avec parcimonie) à votre deck. Comprenez par là que sur les 3 zombies spéciaux, vous allez en ajouter aléatoirement 3 au paquet zombie au moment de préparer votre partie, histoire de ne pas trop savoir sur quoi vous allez tomber. Évidemment, ces superzombies sont clairement du genre à vous pourrir la vie si le destin du mélangeage les fait apparaître au pire moment. À vous de gérer… ou de prendre la fuite si vous le pouvez encore.
On notera également que l’éditeur s’est amusé à disperser quelques-uns de ces superzombies en cartes promo, à récupérer au petit bonheur la chance, pour toujours plus de variété dans les parties.
Happy end ?
La partie prend fin lorsque l’une des conditions de victoire ou de défaite survient. Trop de zombies autour du bus, décès prématuré de l’ensemble des joueurs, apparition de la horde, sauvetage de toutes les cheerleaders…
Dans ce dernier cas, les joueurs qui auront réussi à sortir toutes les demoiselles du bus pourront alors compter leurs points, cumul astucieux de la valeur cachée des cheerleaders et des zombies vaincus. Évidemment, ceux qui seront partis avec le van sont exclus du décompte, pour que la morale soit sauve !
En revanche, si la mission est un échec, la partie se départage entre les joueurs qui auront pris la fuite et qui auront senti le coup venir. Là encore, cela se réglera aux points.
Dans tous les autres cas, la défaite sera aussi cinglante que collective… Mais vu que la partie n’aura pris que 30 minutes grand max, il sera aisé de retenter sa chance.
Ça a l’air super bien, mais avec des Juniors, alors ?
Le jeu est donné pour 8 ans et +. C’est mécaniquement vrai et moralement ambitieux : tout va dépendre de votre progéniture. Posons la question en ces termes : est-ce que votre enfant, épris de justice, va accepter le fait que vous puissiez gagner la partie alors que vous l’avez lâchement abandonné à un destin funeste sur le champ de bataille ? Si je prends (au hasard) l’exemple du fils d’Emy, la réponse sera non. L’enfant va partir en mode outré et trémolos dans la voix : « Mais… t-tu m-m’as a-a-a-abandonné, c’est MAL »… Et vous devrez ensuite gérer une soupe à la grimace de plusieurs heures et un sermon sur le fait de ne pas abandonner son enfant aux mains de zombies, un crime aggravé, car il vous aura permis de gagner en solo au lieu de mourir avec le groupe.
Vous aurez beau sourire en votre for intérieur, vous passerez tout de même une soirée pourrave. Pour ces enfants-là, on attendra un peu qu’ils gagnent en perfidie avant de les soumettre à la tentation. En revanche, si vos enfants sont du genre à vous balancer une carapace rouge alors que vous alliez franchir la ligne d’arrivée ou s’ils s’amusent à laisser innocemment traîner votre feuille d’admission en EHPAD pour vous signaler la manière dont ils envisagent votre avenir, vous pourrez considérer qu’ils sont prêts.
Et ce sera une bonne occasion de leur rappeler qui commande, et qu’avant d’envisager l’EHPAD pour vous, les vacances au ski peuvent parfaitement se transformer en visite chez Tatie Odile, nanmého.
L’avis de Plateau Junior (Olivier)
Zombie Bus, c’est un peu la notion de fourberie élevée au rang d’art, dans un monde rongé d’incertitudes. Il y a des jeux (comme Battlestar Galactica ou Time Bomb) où vous SAVEZ qu’il y a un traitre, et qu’il vous faudra composer avec ce point de départ. Dans Zombie Bus, rien n’est écrit. Vous pouvez très bien gagner tous ensemble, perdre tous ensemble, ou faire exploser le groupe. Mais c’est VOTRE choix, à tout moment, un pari funeste placé sur les chances de victoire du groupe. En cela Zombie Bus est absolument génial, car il reste un « petit-jeu de dés » ultra accessible avec ses éternels 3 lancers et les dés à assigner ici ou là, et il gagne en ampleur tactique grâce à la possibilité, toujours tentante, de laisser les autres se débrouiller seuls (en espérant qu’ils vont se faire massacrer). Bref : Zombie Bus est un jeu très réussi qui permet d’embarquer des sensations de jeu assez énormes sur un format très condensé. Bien sûr il faut y jouer à 4 ou 5 et pas seulement à 2, et il sera également amusant de lancer un chouia de roleplay pour apporter toute la saveur aux parties. Mais si vous cherchez un jeu pour animer votre début de soirée… et qui vous prend au final toute la soirée, Zombie Bus est vraiment une jolie référence. En revanche, assurez-vous que vos Juniors soient capables d’encaisser la trahison, surtout si elle est à votre initiative. Je n’ai pas trop de doutes à partir de 10 ans, mais pour les 8 – 9 ans, c’est sans doute plus aléatoire. Il faudra qu’ils prennent un peu de bouteille et apprennent à devenir des vrais pourris, comme papa et maman. Vivement.
On aime
- Une mécanique simple et addictive
- Les illus et l’ambiance
- Défourailler du zombie
- Trahir ses compagnons (et les voir périr)
- Sauver les cheerleaders (et voir les traîtres blémir)
On aime moins
- Clairement pas pour tous les Juniors
- Vraiment moins fun à 2 (normal au vu de la méca)
- Prévoir une goutte de colle pour les standees, qui standent pas vraiment
- Dire du bien de Christophe Lauras
Fiche Technique
- Un jeu de Christophe Lauras (on le saura)
- Illustré par Mary Pumpkins
- Pour 2 à 5 joueurs
- A partir de 8 ans (on dirait plutôt 9-10 si vos enfants sont épris de justice)