Test – Ghosts of the Moor
Notre histoire débute dans un marécage. Un marécage tout ce qu’il y a de marécageux. De la boue verdâtre, des roseaux, des moustiques, une chaleur nocturne à crever. Un marécage avec des trucs cools dedans, comme des trésors. Mais aussi des trucs moins cools, comme des fantômes. Il va donc falloir traverser ce satané bourbier en récoltant les premiers et en évitant les seconds. Et, si possible, en s’assurant que les autres explorateurs galèrent le plus possible. Pas très gentil, certes. Mais tellement, tellement rigolo.
Ghosts of the Moor est un jeu de Wolfgang Kramer et Michael Kiesling. Bon, rien que les noms, franchement, ça colle un petit frisson, vu leurs CVs respectifs longs comme le bras et leur jolie collection de prix remportés. Ici le jeu est édité par TMG et 2 Tomatoes, distribué en France par Ludistri. Il se destine de 2 à 5 à joueurs, à partir de 8 ans.
[Cet article a précédemment été publié sur plateaumarmots.fr, en voici une version mise à jour pour Plateau Junior.]
L’étrange créature du lac pastel
Ghosts of the Moor vous invite à patauger dans un marécage, rempli de reliques et trésors. Prometteur ! Mais à l’ouverture de la (petite) boîte, une mini déception apparait sur les visages. Le plateau est en effet un peu petit, et surtout un peu pâlichon. Attention, c’est parfaitement lisible, hein, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. Mais l’ensemble fait un peu délavé, comme si un filtre pastel avait été placé sur le design. Une fois la mise en place effectuée, la sensation d’étroitesse se renforce, avec des cases qui ont bien du mal à contenir tous leurs jetons sans déborder sur les cases voisines. On aurait bien vu un plateau plus grand, avec des cases un peu plus larges, et surtout des couleurs qui pètent un peu plus.
Même remarque sur les pions et les meeples, un peu trop passe-partout pour réellement attirer l’attention. Bon, il ne s’agissait pas forcément de faire un plateau de jeu façon Fireball Island, mais quelque chose d’un peu plus ambitieux nous aurait mis dans de meilleures dispositions.
L’ensemble tient donc la route mais n’enflamme pas les foules. La règle, heureusement, est claire et bien illustrée, même si la mise en page est un peu curieuse. Bref, sur la forme, on reste un peu sur notre faim.
Patauger dans la gadoue, l’agadou dou dou
La mise en place de Ghosts of The Moor est simple et rapide : on déplie le plateau, place une poignée de tokens en début de parcours, et on peut immédiatement commencer à patauger.
Les tokens se divisent en deux groupes : les trésors et les fantômes. Il y a 5 types de trésors (hache, pièce, masque, urne…) disponibles en 5 exemplaires et 7 fantômes, numérotés de 2 à 7.
Les 25 trésors, fantômes et une planche en bois sont répartis sur la première moitié du parcours, la fin du trajet est laissée libre de tout jeton. La case arrivée, en revanche, contient 6 tuiles, numérotées de 1 à 6. Le premier joueur à sortir du marécage gagnera 6 points… les autres un peu moins.
Une fois que chaque joueur aura pris une petite planche de bois et le nombre adéquat de pions aventuriers, 5 à 2 joueurs, 4 à 3 joueurs, etc., la partie peut commencer.
Quand on arrive, ça va. Quand on repart, c’est plus compliqué.
Le tour de jeu est fort simple et se résume dans le lancer d’un dé à 6 faces. Le joueur prend l’un de ses pions et le déplace d’autant de cases. Chaque déplacement dans la première moitié du plateau de jeu va vous conduire sur une case où se trouve un trésor ou un fantôme. Et quand vous arrivez sur une case, savez-vous ce qu’il se passe. Bah rien. Car dans Ghosts of the Moor, il ne se passe rien lorsque l’on ARRIVE sur une case. Les choses se déclenchent lorsque vous allez la QUITTER.
Concrètement, lorsque vous quittez une case (sur un déplacement suivant, donc), vous prenez automatiquement le jeton qui s’y trouve (trésor ou fantôme), mais seulement si vous êtes le seul personnage sur la case.
Chaque case, en effet, peut contenir un nombre illimité de personnages, mais seul le dernier à quitter la case pourra obtenir ce qu’elle contient. Il faudra donc s’arranger à être seul sur les trésors, mais pas sur les fantômes, ce qui sera toujours rigolo.
A chaque tour, vous pouvez bouger celui de vos pions qui vous arrange le plus. En fonction du nombre de joueurs, en effet, vous avez de 2 à 5 pions par joueur. Donc si l’un d’entre eux est dans une position défavorable, vous pouvez toujours en jouer un autre.
Il n’est toutefois pas totalement inutile d’avoir collecté quelques fantômes en route lorsque l’on arrive à la fin de voyage. Et aussi surprenant que cela puisse paraître, en voici la raison…
Les fantômes sont nos amis, il faut les aimer aussi.
A quoi bon collecter des trésors, allez-vous me dire ? Certes ils rapportent des points, mais l’appât du gain est-il vraiment une fin en soi ?
Dans Ghosts of the Moor, le vainqueur est celui qui aura gagné le plus de points, score calculé en fonction de votre position de sortie, des trésors collectés et des fantômes que vous aurez été contraints de ramasser. Plus vous collectez de trésors d’un même type, plus vous allez marquer de points. Mais tous les trésors que vous allez ramasser ne verront pas forcément l’arrivée, loin de là.
Comme vous l’aurez noté depuis le début, on parle volontiers d’un plateau de jeu en deux parties : l’une pleine de trésors et la seconde totalement déserte. Si la première est dédiée à la collecte, la seconde est bien plus enquiquinante…
En effet, si un pion QUITTE une case qui ne contient PAS de tuile, le joueur doit alors se DEFAUSSER du trésor dont le symbole correspond à la case et le placer sur la case. Voyez ça comme une offrande aux dieux. Ou un droit de passage, comme vous voulez. Mais votre trésor durement gagné va devoir être abandonné sur place.
Si vous ne pouvez pas vous affranchir de la taxe demandée parce que vous n’avez point le trésor en question, vous pourrez abandonner à la place un fantôme ou deux trésors de votre choix. Et vous aurez compris qu’il s’agit là d’un excellent moyen de se débarrasser des fantômes ramassés malgré vous. Et que, par conséquent, avoir un ou deux fantômes sous le coude, c’est pas si mal en prévision de la fin du parcours. Eh ouais !
Ennuis exponentiels
Les tuiles ainsi défaussées sont placées SUR le plateau de jeu, à l’endroit de votre pion. Cela signifie que si vous avez lâché un trésor, un autre aventurier pourra le récupérer. Mais on sait tous que vous allez lâcher des fantômes, créant de fait une fin de parcours truffée de revenants pour les explorateurs à la traîne. C’est vil, certes, mais ils n’avaient qu’à se magner le train.
Plus le jeu avance et plus il devient difficile : beaucoup de trésors ont déjà raflés à l’entrée et les fantômes pullulent à la sortie. A vous de faire en sorte que votre score s’équilibre et que les points largement gagnés par votre premier pion ne soient pas trop dévalués par ceux qui arrivent ensuite.
Pour survivre dans ce monde de bouillasse, les auteurs du jeu ont généreusement attribué un bonus à chaque joueur : une planche de bois. Ce jeton peut être posé sur toute tuile vide pour éviter d’avoir à payer une contrepartie, et peut même se ramasser en quittant la tuile. Oui mais voilà, il suffira d’être deux sur la tuile pour ne plus pouvoir la récupérer en partant.
Une mécanique vraiment bien huilée
Ce qui frappe en cours de jeu, c’est la rapidité et la fluidité des parties. On lance le dé, on bouge un pion, hop, au joueur suivant. Ça va vite, ça se comprend vite, et ça fait du bien. Mais si le jeu est très accessible, il est néanmoins d’une fourberie assez impitoyable : chaque action a des lourdes conséquences sur le reste de la partie. Tout objet pris sera un risque de patauger pour les pions suivants, de la même manière que tout objet abandonné permettra à un autre pion de s’éviter une grosse galère en fin de parcours. Le plateau de jeu, rempli d’un côté et vide de l’autre en début de partie, s’inverse progressivement dans une symétrie très intéressante alors qu’on la voit se dessiner sous nos yeux. La mécanique du jeu est tout simplement bluffante et la marge de progression juste incroyable.
Même pô peur
Les marmots accrochent également très vite au jeu, dès 7 ans d’une manière générale. Seule la partie graphique rebute un peu au début. Une fois qu’elle est digérée, les enfants jouent avec le clair objectif d’arriver les premiers pour marquer le plus de points grâce aux tuiles d’arrivée. Heureusement, c’est une stratégie tout à fait payante, surtout dans une partie avec beaucoup de joueurs. C’est la grande différence, d’ailleurs, entre le jeu entre adulte et le jeu avec des enfants. Entre adultes, j’aurais tendance à dire que le jeu est plus intéressant à deux, car les possibilités stratégiques offertes par le fait de posséder 5 pions sont énormes.
Après quelques parties, vu la rapidité et la haute accessibilité du jeu, ils se feront la main assez sur plusieurs stratégies possibles.
L’avis de Plateau Junior
Même si les jeux sont fort différents sur de nombreux points, Ghosts of the Moor me rappelle volontiers l’excellent Kingdom Run (Ankama). Dans les deux cas il s’agit de jeux de placement avec une gestion de plusieurs personnages et une nécessité de gérer le score de toute l’équipe pour déterminer victoires et défaites. Mais sous ses dehors plus austères, Ghosts of the Moor est en fait plus simple à jouer, car la seule action du tour de jeu consiste à lancer le dé et à déterminer à quel personnage appliquer le résultat. C’est rapide, fun, et les parties s’enchaînent du coup plus rapidement. Le jeu tourne énormément autour de l’optimisation de son unique lancer de dé du tour et de la prise de risques associée, thème assez universel pour plaire au plus grand nombre de joueurs.
Quel dommage que le plateau ne bénéficie pas de dimensions plus confortables et qu’il ne soit pas illustré de manière plus percutante ! Il est compact et plus simple à transporter, sans doute. Mais nous sommes convaincus qu’il aurait gagné à bénéficier d’une version moins nomade. Car le jeu est en fait particulièrement plaisant à jouer entre adultes et marmots, et on aimerait pouvoir y prendre ses aises. Le point fort du jeu, c’est cette idée, simple mais excellente, de déclencher l’effet de la tuile au moment où on la quitte. C’est vraiment fun à jouer et apporte un vent de fraîcheur bienvenu dans ces marécages putrides. Prendre des fantômes que l’on espère pouvoir défausser plus tard est toujours un pari crispant. Quant à la fin de parcours, devoir jeter des trésors durement amassés (et qui seront ramassés par les autres explorateurs) est toujours un crève-cœur. Dans tous les cas les sensations sont au rendez-vous et on s’amuse énormément de cette traversée de marécage.
On aime
- Une mécanique de jeu très aboutie
- Un plateau de jeu qui se transforme au fil des tours
- Les fantômes, ennemis, mais un peu amis
- Prise de risques, dosage, optimisation
On aime moins
- Un matériel qui ne rend pas justice au jeu
- Cases trop petites (ou tuiles trop grandes)
- Couleurs fadasses
Le trouver
Chez Ludistri (distributeur du jeu en France avec règles VF)
Chez Philibert
Sur Amazon
Fiche technique
Un jeu de Wolfgang Kramer et Michael Kiesling
Illustré par Scott Hartman, Nate Call
Edité par Tasty Minstrel Games et 2 Tomatoes
Pour 2 à 5 joueurs
A partir de 8 ans (mais 7 ans ça marche bien aussi)